©Eva Domeneghini& Ecrits-vains 2000


Entretien avec Anne F. Garréta



" Disons que c’est un orgueil qui est plus grand que la vanité. On ne se sauve pas de la vanité par l’humilité mais par l’orgueil. "

Eva Domeneghini : Tout d’abord, on peut se poser la question du cheminement entre Sphinx et La Décomposition: peut-on discerner une démarche d’ensemble Une thématique commune? Il y a un laps de temps important entre chacune de vos publications, effectuez-vous un travail documentaire important, de quelle nature?

Anne Garréta: La cohérence n'est souvent qu'un effet du privilège de la rétrospection. Inversement, il est presque impossible d'effacer la mémoire du chemin parcouru et de se replacer dans les conditions initiales. Il est très probable que je croyais aller quelque part en 1985 et que ce quelque part n'est pas le point où j'en suis aujourd'hui. La cohérence n'est donc pas le déploiement d'une intention a priori, c'est le résultat de la sommation de l'expérience. Le chemin n'était pas tracé d'avance: on l'invente au fur et à mesure qu'on marche, et il modifie le marcheur, il l'exerce, il aiguise ses facultés. Autrement, autant suivre les autoroutes (on sait toujours où elles mènent) et se faire un plan de carrière littéraire, se tracer un petit sillon bien balisé et n'en pas dévier. Malheureusement, je suis indisciplinée, j'ai tendance à digresser, à aller voir ailleurs que là où je suis. Et puis les obstacles m'intéressent, les chemins accidentés. Je découvre parfois en me retournant la figure que mon chemin a pris. Rien d'extraordinaire à cela.
Par exemple, et pour cesser de tourner autour de votre question, je dirais aujourd'hui que je retrouve entre Sphinx et La Décomposition des continuités, par exemple la figure du test de Turing. Qui n'est qu'une des figures de la question (qui me semble traverser tous mes textes) du rapport entre les sujets et la modernité, c’est-à-dire ce qui arrive au sujet humain à l’ère de certaines formes de musiques, de transports, de machines numériques, non seulement ce qui arrive au sujet, mais au corps. Un autre facteur de cohérence tiendrait à l'insistance de certains intertextes et particulièrement ceux issus de la poésie post-romantique (Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud …).
Pour ce qui est du travail documentaire, bien que je ne sois pas un écrivain réaliste, je tiens à être un écrivain exact. Quand, lisant un livre, je me rends compte que l’information en est déficiente, que l’auteur raconte n’importe quoi sur la manière dont fonctionne une machine, dont sont faits les objets, sur des localisations, cela m’irrite. Le plus souvent, je laisse tomber le livre, parce que si l’auteur n’a pas fait son travail dans ce domaine, il y a de fortes chances qu'il ne l'ait pas fait dans les autres non plus. Lieux, pratiques sociales, machines… Je me renseigne et me documente, je vais voir, je pratique… Propension flaubertienne.

ED: Mais les lecteurs n’en sont pas forcément conscients parce qu’il n’y a pas d’indications de lieux...

AFG: Il y en a peu et de moins en moins. Mais ce n'est pas parce que les lieux ne sont pas nommés qu'ils ne sont pas là. Le raccourci qui consiste pour un texte à simplement désigner un lieu référentiel ne convient pas à ma manière: en disant "Paris" ou "Le cimetière du Père Lachaise", on effectue à la fois trop et trop peu. Un ancrage référentiel, certes, mais ce que je cherche, c'est moins l'ancrage que le désancrage, la défamiliarisation, une manière d'errer dans le réél. Toutefois, pour créer une fiction, il faut un départ, un donné de réalité. On ne crée par une cohérence à partir de rien. Or, le monde est ainsi fait qu’il est cohérent dans la perception qu’on en a; tout le travail critique de la fiction, c'est une réélaboration de ces éléments. Si quelque chose dans mes romans diffère de la forme que vous lui connaissez dans l’univers de référence que nous partageons (plus ou moins) et qui nous est accessible, c’est que c’est voulu. Les distorsions sont calculées.

ED: On remarque la présence dans vos oeuvres d’un postmodernisme évident et d’une langue recherchée, guère en usage chez la plupart de nos écrivains “modernes”.-mais je n’irai pas jusqu’à dire avec Rinaldi qu’elle est précieuse à l’excès… Est-ce une volonté délibérée de concilier classicisme de la langue et avant-garde de la démarche?

AFG: Je ne vois pas pourquoi on devrait écrire comme un sagouin. Le choix de langue, de lexique et de syntaxe est un des éléments de l'art d'écrire. Et selon les stratégies esthétiques, on peut faire le choix de la richesse ou le choix de la pauvreté. Mais si pauvreté il y a, mieux vaut qu'elle soit l'effet d'un vœu, d'une décision et non d'une incurable indigence. Songez à ce qu’a fait Beckett: sa prose anglaise était trop traversée de baroquisme, sous l’influence de Joyce, dont il s’est libéré en écrivant en français, manière de radicaliser une dépossession. Et ceci est tout à fait différent de l'acceptation irréfléchie, et parfaitement normative, de la langue moyenne, de la langue en circulation. Le roman moyen n'est pas tant pauvre (ce qui serait une ascèse réglée) que stéréotypé dans son usage de la langue: personne n'est vraiment pauvre, tout le monde a (la langue de) la télévision.
Je crois d'ailleurs que le reproche que certains me font tient plus encore à des questions de syntaxe qu'à des questions de vocabulaire. Le paradoxe, c’est que dans mes romans, il y a des phrases longues et d’autres courtes, des passages minimalistes et d'autres, maximalistes, et les gens s’en tiennent à ces derniers parce qu’à un moment ils butent. On pense donc que je fais systématiquement des phrases longues, avec un vocabulaire précieux et archaïque, sans remarquer les termes qui appartiennent à d'autres registres de langue (franchement modernes), sans remarquer la gamme des variations syntaxiques. Au fond, avec le temps, et rétrospectivement, je crois que j'en suis venue à cultiver consciemment l'écart.

ED: C’est encore plus marqué dans “La Décomposition” où selon les chapitres, le rythme varie considérablement.

AFG: Pourquoi s'interdire, (pour ne pas faire d'envieux? pour faire prétendument peuple et grand public?) d'utiliser toutes les ressources de la langue? Le seul critère est le suivant: user de celles qui sont nécessaires à un moment donné dans un texte donné pour produire l'effet de signification le plus percutant. Par ailleurs, et à la différence sans doute de certains, je ne passe pas mon temps à lire des dictionnaires pour me faire un vocabulaire compliqué; je me contente de lire toutes sortes de textes (y compris des textes de la tradition littéraire française, les étiquettes de boîtes de camembert, les manuels techniques des objets qui m'intéressent, les publications dans les domaines de ma curiosité). Le vocabulaire vient avec cette fréquentation intime, prolongée, constante, et aussi variée que possible des usages de langues.

ED: Arrêtons-nous quelques instants sur votre expérience aux Etats-Unis. En matière littéraire, a-t-elle joué un rôle dans l’approfondissement de votre démarche?

AFG: Oui, pour plusieurs raisons. D’abord, les tension de la modernité et de la postmodernité sont plus sensibles aux USA, (étant donné en particulier l’avance technologique). Ensuite, le fait de changer d’espace et de langue donne une distance ou une perspective critique sur ce que l’on croit naturellement être la langue, la culture, la tradition. Enfin, le fait de parler une autre langue que la sienne, une langue aussi proche que l’anglais (qui est, je le rappelle, pour son lexique à 80% du français mal prononcé; certaines formes existantes en anglais ont disparu ou sont archaïques en français) m'est devenu précieux (à une époque, celle de Ciels liquides, j'ai plutôt vécu cela comme une épreuve ou une crise d'identité linguistique). Ces interférences anglaises me rappellent souvent un mot de la langue française qui n’est plus en usage: cela me permet une remontée archéologique dans la langue. Vous trouverez par exemple dans La Décomposition un verbe rare "semondre" que j'ai retrouvé tout simplement parce que, composant ma phrase, une expression me venait en anglais "summoning before him", qui signifiait exactement le mouvement que je voulais décrire. En fait, toute phrase se compose pour moi en plus d'une langue (pas seulement le français et l'anglais, mais des bribes de toutes les langues que j'ai fréquentées): je passe ma vie d'écrivain dans un état de traduction constante.

-ED: Dans La Décomposition: pourquoi choisir Proust et la Recherche? Ce roman est, nous dit le narrateur, une cathédrale de la littérature, un monument historique qui a beaucoup souffert des thèses de tous les plus brillants esprits de notre temps. Le narrateur dit vouloir être le plus fidèle à Proust en trouvant un sens nouveau à son oeuvre: le meurtre. Quelle idée saugrenue!

AFG: Je pense qu’elle n’est pas si saugrenue. On a une idée de Proust de guimauve, de petite madeleine. Pour assimiler l’inassimilable, les lecteurs, la critique ont opéré une série de réductions qui masquent des pans entiers du texte. Quel rapport entre Proust et le meurtre? Il y a un arrière-fond violent à Proust; les madeleines sont plus cruelles qu’elles ne paraissent. La réécriture du texte proustien dans La Décomposition fait apparaître ce fond de cruauté, et cette manoeuvre n’est pas tout à fait dépourvue de fondement dans le texte même de Proust. Je donne à un moment (Deuxième partie, chapitre 3) un passage authentique de la Recherche où Albertine discute de Dostoïevski avec le narrateur qui tient alors des propos étonnants. Je n'ai pas changé un mot de ce que dit Proust. On peut lire sans délire Prout sous l’angle de la violence, du meurtre symbolique et de la cruauté. C'est à mon sens plus troublant que tous les proustismes au petit pied dont le roman français se sucre à intervalles réguliers.

ED: Pour en rester à La Décomposition: ce roman tient autant de l’essai que de la fiction. Le problème, alors, est de discerner un message quelconque dans le livre tant il semble que les thèmes abordés soient divers. Philosophiques (formalisme, acte gratuit, errance), littéraires (proustiens of course, le livre est plein de prises de position du narrateur au sujet de la littérature telle qu’elle se pratique), existentiels enfin.

AFG: Il y a divers modes de la fiction. Ce qui se pratique de manière courante dans la fiction est une forme réduite de ses possibilités. On consomme des fictions narratives à intrigue simple avec caractérisation univoque, qui ont un parcours narratif sans mise en abîme. La tradition de la littérature fictionnelle est plus riche et plus complexe que cela, et les mises à distance des usages de la fiction abondent. Pensez à Cervantès, au Don Quichotte, à ce que fait Diderot avec Jacques le Fataliste, à ces oeuvres où la fiction, loin d’être une imitation simple de la vie courante, une simulation des histoires qui adviennent à des personnages, prend une réflexivité troublante. C’est ce type de littérature qui m’intéresse. Par ailleurs, et quant à ce que vous appelez “le message” du livre, la difficulté à le saisir tient à la cascade des ironies énonciatives: l'ironie proustienne à l'égard des “messages” que son narrateur croit déchiffrer et de ceux qu'il occulte, eux-mêmes enjeux de l'ironie de mon narrateur meurtrier, lui-même objet de la construction ironique de mon roman.

ED: La Décomposition est également un roman policier. Le narrateur reproche au lecteur, en permanence, sa volonté de voyeurisme- c’est l’ “hypocrite lecteur mon frère!”... Croyez-vous vraiment que les lecteurs aient quelque difficulté à aller chercher derrière les meurtres pour comprendre leurs implications, ou bien qu’ils ne veulent vraiment, en somme, que “de la guimauve et du foutre”?

AFG: D’une certaine manière, oui. Et ce n'est pas la production contemporaine qui me contredira… Ce que la vulgate a fait à Proust en réduisant sa madeleine empoisonnée à une sucrerie roborative indique que les lecteurs (et surtout l'institution sociale de la lecture) se satisfont d’un certain usage de la fiction. Encore une fois, la quête des identités, des origines, satisfaite dans la formule classique du roman policier (crime, résolution...), marche très bien et cela fait de la littérature au kilomètre qu’on trouve dans tous les rayons et qui se reproduit indéfiniment pour une consommation aisée. Dans La Décomposition, il y a des meurtres mais il n’y a pas de policiers; dans Sphinx, il y a des meurtres, des morts, et on ne retrouve jamais les cadavres, idem dans Ciels liquides. Quelque chose manque dans l'économie de la violence et de la loi. Ce sont des lieux fictifs sans flics dans lesquels l’institution qui est chargée de mettre de l’ordre et d’interpréter les signes, les indices et les traces n’est pas là. Il y a une seule personne qui reste et qui demeure pour interpréter, c’est le lecteur. Personne ne le fera à sa place.

"Lisez des livres, gavez-vous de guimauve, de foutre et de flicaille… Et n'allez pas voir de trop près ce que cachent les ennuyeux monuments de la littérature (ni ce qu'on vous a caché d'eux)… Etonnez-vous après cela d'une sensation de fadeur…"

ED: Donc vous cherchez à éveiller chez lui un certain sens critique?

AFG: Si je pouvais, ce serait vraiment bien. Mais je me fais peu d'illusions. Le coup de génie de l'ordre social et politique post-moderne c'est d'avoir déconsidéré la lecture comme force critique. Les gouvernements, les institutions passent leur temps à vanter avec toutes les armes de la publicité la lecture, à inciter à la lecture. Le tour de force, le véritable génie de la manœuvre, et son ressort secret, c'est dans le même temps d'accomplir l'émasculation de la lecture dans un populisme généralisé. La littérature doit être proche des "gens". Et hop, d'un coup de marketing culturel on vous fait de Rimbaud, le poète savant, une sorte de clone de James Dean ou de casseur de banlieues imaginaires. La lecture est une chose trop dangereuse lorsqu'on la laisse se développer à l'état sauvage: tout cela sera donc policé et publicisé et plébiscité et coopté à mort. Lisez des livres, gavez-vous de guimauve, de foutre et de flicaille… Et n'allez pas voir de trop près ce que cachent les ennuyeux monuments de la littérature (ni ce qu'on vous a caché d'eux)… Etonnez-vous après cela d'une sensation de fadeur…

ED: Vos romans posent la question, à la suite de Ciels liquides d’ailleurs, du rapport entre les mots et les choses. La littérature, en paraphrasant Proust, n’est pas “cosa mentale” uniquement: le narrateur de La décomposition dit qu’elle est “chose mortelle”. Etes-vous d’accord avec lui?

AFG: Elle est chose mentale, certes, mais il n’y a peut-être rien en dehors de ce que nous avons dans l’esprit, qui puisse avoir paradoxalement des effets inédits dans ce que nous appelons le réel, la réalité.

ED: Vos livres partent toujours d’un postulat formaliste. Sphinx traite de la question du genre, Ciels liquides de la perte du langage, La Décomposition d’un serial-killer utilisant A la recherche du temps perdu comme modus operandi. Pourquoi ces points de départ thématiques? Serait-ce que vos livres sont des romans à thèse?

AFG: Ce sont des romans formalistes au départ, des fictions à contrainte (sémantiques ou pragmatiques) au sens oulipien, et ce sont plutôt des romans critiques. Un roman à thèse se produit lorsque l’auteur a une thèse qu’il charge la fiction d'illustrer. Pour moi, je ne crois pas que ce soit le cas de mes romans. Il n'y a pas de thèses, il n'y a que des questions. Ce sont plutôt des fictions hypothétiques comme on en fait parfois en logique, ou dans les sciences. On se dit “Et si? Alors...”, on construit un univers autonome pour tester une hypothèse.

ED: Faisons un peu d’histoire, revenons à l’époque de Sphinx. A l’époque, vous aviez connu un succès important, ce premier roman avait fait son petit effet.

AFG: Oui, un succès calamiteusement important.

"Si l’on touche, d’une manière ou d’une autre, à la différence des sexes, on est pas loin de la crise dans la culture, de l’effondrement même de la civilisation, du malaise dans la civilisation."

ED: Peu, sans doute, l’avaient vraiment compris, mais on parlait d’ “ambiguïté”, de bizarrerie, de jeu dangereux. Créer des personnages dont on ne pourrait avec certitude connaître le sexe, voilà qui remettait en jeu l’usage habituel de la fiction littéraire. Avez-vous craint la catégorisation? Je fais allusion à l’entretien avec J. Savigneau des Yale French Studies: vous y expliquez entre autres choses que Sphinx a posé la question de votre place, il fallait vous circonscrire. Or, le problème était de vous classer: en évitant de sexuer l’intrigue, vous vous placiez délibérément dans le non-genre. Quels furent les effets?

AFG: C’est une question complexe. La caractérisation de Sphinx comme jeu dangereux tout d’abord.
On peut le voir dans tous les discours sur la parité, sur le PACS: est hégémonique le discours de la différence des sexes, avec un grand D, la Différence au-delà de toutes différences, la Différence fondamentale et qui est tellement fondamentale qu’elle est la source anthropologique de toute différenciation, le fondement de l’ordre symbolique, du lien social et de la possibilité même de la culture etc. (je vous résume ce délire). Si l’on touche, d’une manière ou d’une autre, à la différence des sexes, on est pas loin de la crise dans la culture, de l’effondrement même de la civilisation, du malaise dans la civilisation. C’est l’Apocalypse toutes les cinq minutes à entendre ces gens-là (tous ceux qui ont défendu la parité au nom de la Différence, et se sont opposés, non pas tant au Pacs --qui au fond est une mesure de compromis-- qu'à l'institution formelle et claire d'une forme légale d'union homosexuelle). Les sources de cette idéologie française tiennent à la diffusion et à la vulgarisation de la psychanalyse lacanienne ou de l'anthropologie levi-straussienne (bref, l'heure de gloire du structuralisme), qui elle-même remonte plus haut (Mauss, Durkheim), et encore plus haut (Bonald, le catholicisme réactionnaire). De tout cela on fait une pâtée et c’est l’invention française du siècle: s’il y a de la société, s’il y a de la culture, si nous parlons et si tout tient ensemble, c’est qu’il y a de la castration symbolique et la castration symbolique est la reconnaissance de la Différence avec un grand D. Cela touche à quelque chose de central dans la culture française. Je ne dis pas que ce n’est pas important. Au contraire. Mais je dis que la différence est ailleurs que là où on veut pour des raisons idéologiques l'assigner. Qu'il y a un dehors du Symbolique --entendu au sens aujourd'hui commun-- et que ce dehors ne nous force pas à renoncer à la grammaire, ni à la différence, ni à la langue, ni à parler (contrairement à ce qu'assurent nos oracles les plus en vue). Plus radicalement encore, je soutiendrais que cette invention du Symbolique, c'est feuille de vigne sur la grande misère d'un système d'organisation sociale en voie de restructuration accélérée. Et que les concepts même ne tiennent pas la route trois minutes à l'examen critique: ce sont des idoles qui tiennent captifs les entendements. C'est une sorte de culte destiné à entretenir l'hallucination sociale.
Mais revenons à notre propos. L’expérience de Sphinx, c'est une expérience pour mettre en évidence l'inanité de la sacralisation de cette Différence métaphysique. Je me suis arrangée pour écrire une histoire dans laquelle la question de l’identité sexuelle et donc de la différence des sexes n’est nullement marquée dans le langage du texte. Le langage (et le langage le plus ordinaire) permet ceci, si on sait s’en servir. Cela demande un peu de travail mais on peut y arriver. L'expérience prend son sens lorsqu'on fait lire le texte. Le résultat intéressant du test, (qui n'est au fond qu'un test de Turing), est que d’abord les gens ne remarquent pas l’absence des marques du genre. Il les projettent systématiquement, comme si pour lire une histoire, en effet, il leur était nécessaire d’attribuer une identité sexuelle aux personnages (bref, l'identité sexuelle, le genre des personnes est une catégorie commune de leur entendement, et une catégorie prégnante --mais, et j'insiste, pas nécessaire, ni naturellement, ni socialement, ni discursivement: la preuve, on peut l'éluder sans qu'elle manque, on peut l'éluder et continuer à raconter des histoires). Second résultat: il n’y a pas d’uniformité dans les projections, les lecteurs n’ont pas tous lu la même histoire mais les quatre possibilités ont été systématiquement représentées dans la réception critique du livre (une histoire entre un homme et une femme ou entre deux hommes ou deux femmes). Ce qui tendrait à indiquer qu’à l’ère qui est la nôtre, en dehors des marques institutionnelles du genre grammatical, ou alors en dehors des injonctions qui assignent telle personne à telle identité, rien ne permet de reconnaître, dans une histoire, un homme d’une femme. C’est ça le jeu dangereux. Faire la preuve empirique, expérimentale, non seulement de la contingence du genre, mais de son inanité ou de son insignifiance comme catégorie.

ED: Justement: citons Josyane Savigneau: “En 1986, une étrange jeune femme d'à peine vingt-quatre ans, qui jouait, dans son allure et dans sa voix, sur l'ambiguïté et l'indétermination sexuelle, publiait Sphinx, un premier roman très remarquable dans lequel le sexe des protagonistes n'était pas repérable”. Donc il y aurait adéquation entre votre démarche personnelle et votre démarche littéraire? Cela me semble un peu réducteur.

AFG: C’est la propension naturelle de la réception de la littérature aujourd’hui. Il faut qu’il y ait une cohérence, une unité entre l’auteur et la fiction qu’il représente. Il faut que l’auteur présente un livre à sa semblance, que la discordance soit réductible, entre le discours de la fiction et ce qui est perceptible socialement de la personne de l’auteur. Ou pour le dire autrement: il vous faut sursignifier les marques de votre identité d'auteur. D’une certaine manière, l’auteur est toujours en représentation. Ce que vend la machine éditoriale, ce ne sont pas des textes, ce sont des images d’auteur. C’est un peu problématique au sens où la dissemblance que la fiction doit permettre en est compromise. La difficulté est de se défaire des catégories de l’identification sociale, de leur pente, de leur poids. Ce n’est pas pour le pur plaisir de la transgression mais pour savoir ce qu’il y a dans ces catégories, ce qu’elles nous cachent et nous empêchent de penser. Mais Josyane Savigneau n’a pas tort, et rend assez exactement compte de la situation de 1986: j’étais jeune, j’avais de l'ambition, c’était une stratégie très claire de ma part que d’aller dans le sens de ce qui pouvait être recevable.

“Féminisme borné”, pour certains on dirait que l'expression est un pléonasme...

ED: Où vous situez-vous dans les lettres françaises? Citons Savigneau qui écrit que vous êtes “trop brillante, trop secrète, insaisissable”. On ne sait où vous situer, il semble y avoir différentes opinions à votre sujet selon les milieux que l’on interroge. Curieusement, j’ai entendu certains parler de votre “féminisme borné”...

AFG: La description que donne J. Savigneau est flatteuse. Un peu inquiétante aussi, mais sans doute, si j'avais une stratégie, je dirais bien que c'est celle d'un certain secret et d'un désir de déjouer les prises trop évidentes. Quand à mon "féminisme borné", mais qui donc?

ED: Citons un nom: Robin Hunzinger, directeur de la revue ressources.org... tandis que d’autres lecteurs ne voyaient en vous qu’un défenseur expatrié de la langue française. Alors: féministe, adepte des queer studies ou proustienne patentée et respectable?

AFG: Je suis très heureuse de découvrir que quelqu’un me trouve féministe et en effet, je le suis. Je suppose que l'occasion de me caractériser ainsi tient aux propos que j'ai tenus au web bar il y a quelques mois. Il faut dire que le sujet de la soirée s'y prêtait: les journalistes découvrent tous les 10 ans que les femmes prennent de plus en plus de place dans le champ littéraire. On crie au miracle, à la modernité, au progrès… On célèbre, on se congratule du libéralisme inoui de la société française… C'est extraordinaire, il y a des femmes qui écrivent! C'est inoui, elles ont du succès! Et puis on repart comme en l'an 40. Car c'est trop beau pour durer, et d'ailleurs, ce n'est jamais fait pour durer, pour laisser une trace…
“Féminisme borné”, pour certains on dirait que l'expression est un pléonasme... L’interlocuteur auquel j’opposais des arguments fondés dans l’histoire de la littérature ne faisait pas preuve de naïveté et de masculinisme borné? Cette discussion avait été fort intéressante au web bar...

ED: Il déclare également que vous vous délectez de rhétorique et de dialectique...

AFG: C’est le même type d’argument que Rinaldi dans le Nouvel Observateur… Le problème de ces gens (et c'est un problème très français, en ce que le champ intellectuel y est “symboliquement” surinvesti: et c'est pour cela que je dirai qu'il existe une bêtise masculine très française, et d'un comique exceptionnel) est que dès qu’une femme se met à penser, c’est le commencement de la fin de la civilisation (c'est à dire des privilèges dévolus au masculin dans une culture donnée et dans une société donnée). La rhétorique et la dialectique sont des instruments censément masculins; il importe de dissuader les femmes de s’en servir. Et si l'on ne peut plus leur en interdire institutionnellement l'accès (souvenez-vous du combat qu'il a fallu mener pour que les femmes entrent à l'Université, dans les grandes écoles etc.), on peut toujours tenter de ridiculiser l'usage que certaines en font... Je réitère: oui, je suis féministe, et quant aux bornes de mon féminisme, le seul moyen d’en discuter serait d’avoir une délibération rationnelle sur ce que ce féminisme suppose et sur les conséquences qu’il convient d’en tirer. Mais je n'imagine pas que les ressources dialectiques de Monsieur Hunzinger lui laissent le loisir d'un tel débat….
Vous savez ce que j'apprécie dans le féminisme? Sa capacité, rien qu'à l'invocation du mot à créer une telle panique… Même les femmes de nos jours ont peur de passer pour féministes, et de se dire telles… Quant aux hommes, ils en font figure de guignol et d'épouvantail pour mieux s'en défendre… On ne peut pas dire que le courage étouffe les pantins qui s'agitent sur la scène française…

ED: Mais vous défendez la conception de l’écriture de V. Woolf dans “Une chambre à soi”: la littérature écrite par des femmes (et non “féminine”) doit éviter, dans l’avenir, de se caractériser par une marque de fabrique qui serait justement propre à ce sexe. L’idéal serait qu’on ne s’occupe pas, à propos d’ un livre, du sexe de son auteur. Espérez-vous l’avènement d’une littérature “asexuée”? La tendance actuelle exalte plutôt des écrivains qui n’ont de cesse d’affirmer leur “féminitude”...

AFG: Indeed, et qu'on cesse de surestimer ce paramètre des identités et des subjectivités…. (La surestimation coïncidant bien sûr avec l'évidente réticence à en tenir compte là où ça compte et ça coûte vraiment…). Cela ne me dérangerait pas que la sexualité transparaisse dans la littérature (le problème c'est que je ne me reconnais dans aucune des représentations courantes qui en sont données), mais ce qui me gêne c’est la caricature de féminité ou de masculinité qui transparaît dans les écritures qui mettent en avant ce type de détermination. Ce qui est plus gênant encore, c'est le caractère hégémonique, totalisant de cette sexuation: elle écrase les différences entre les sujets, elle écrase les singularités, et par ailleurs somme chacun de représenter en tous lieux de sa vie et de sa personne les caractères de son sexe comme détermination absolue. Simplification bien commode dans l'ordonnancement social, certes, mais sommes-nous là pour simplifier le travail de la morne machine à normaliser? C’est le défaut d’imagination, la réification des identités dans des oppositions polaires, généralement absurdes, totalement réactionnaires et qui disent, par exemple (même si le discours change et qu’on ne peut pas toujours dire les même conneries historiquement sans qu’elles finissent pas paraître ce qu’elles sont, à savoir des conneries...), les hommes font la rhétorique, la dialectique et la raison et les femmes sont du côté du sentiment, la sensibilité, de l’inarticulé de la passion. Les unes veulent de la guimauve, les autres du foutre et par dessus tout, tout le monde veut s'y retrouver, et que l'ordre règne dans les représentations. C’est réducteur pour les femmes mais aussi pour les hommes, au sens où, sommés d’être du côté de l’exhibition triomphante d’une raison, d'une libido, d'une loi les hommes ont bien du mal à la soutenir, d’ailleurs cela produit des névroses à n’en plus finir et rend tout le monde malheureux (voyez par exemple monsieur Huizinger, se chargeant à lui tout seul de défendre la vertu de la rhétorique et la dialectique contre mes perverses délectations…). Il faudrait avoir de l’imagination, sortir des bornes non du féminisme mais du sexisme et se poser la question de ce qui se passe dans l’écriture d’un sujet qui n’est jamais un, unique ou unifié mais multiple, changeant, contradictoire et qui évolue nécessairement au cours du temps. Et qui n'est pas le même que tel autre qui semble partager avec lui le même sexe… On est pas le même écrivain à vingt ans qu'à trente ou à quarante, la même femme à dix-huit, qu’à vingt-cinq ou qu’à trente, de même pour les hommes, le petit crétin de seize ans n’est pas nécessairement le même que le vieux con de cinquante...

ED: C’est une optique assez queer, alors... Je fais allusion au courant des queer studies en France, représenté par des gens comme Marie-Hélène Bourcier ou Beatriz Preciado.

AFG: Pas entièrement. Le Queer français, c’est une importation en bloc des problématiques américaines qui sont elles-mêmes des retraductions de certains courants de la pensée française des années 70 entre autres, Foucault, Derrida etc ... Je n’ai pas de religion queer ou gay and lesbian, ni Women studies ou gender studies. Je pense que tout ceci doit être considéré historiquement, et rapporté à des conditions matérielles, sociales, et aux constructions institutionnelles, normatives qui modèlent ce que sont les identités dans une société et surtout à quoi on les fait servir. On ne décrète pas l’identité. On ne décrète pas non plus que la contingence, la performativité et le free-play. Je pense que ni l’un ni l’autre ne sont le cas naturellement. Et puis je ne peux me garder d'un soupçon quant aux récents éloges de la queerité: l'idéologie postmoderne correspond tellement bien aux formes et qualités requises des sujets pour fonctionner dans le nouvel ordre économique et politique qui s'annonce que c'en est quasiment miraculeux d'adéquation… Ce débat n'est pas sans importance pour la littérature parce qu’elle est l’un des lieux de la formation et de la transformation des normes et des identités, des images, des rôles. Le Queer comme critique, je veux bien; quand il tourne à la religion et au nouveau commerce social, je ne veux plus. Accessoirement, j'ai bien connu Marie-Hélène Bourcier.

ED: Elle est en effet normalienne...

AFG: Je l’ai très bien connue, il y a très longtemps. Nous avons préparé Normale Sup' ensemble.

ED: Le narrateur de La Décomposition dit qu’il y a quelque obscénité, de la facilité à faire passer pour un roman le rebut d’un journal intime. C’est entendu: vous n’écrivez pas d’autofictions (ce serait inquiétant, au vu de votre dernier opus...). Cependant, il me semble que certains éléments qui passent de temps à autre dans vos romans, en arrière-plan (héros toujours étudiants, intellectuels) et certains thèmes (la dépossession, le rapport aux autres, au langage, le deuil) vous impliquent personnellement. Et cela en particulier dans les deux nouvelles publiées au Serpent à plumes. Elles me semblent plus “personnelles” encore.

"Je ne tiens pas à faire comme les autres, ni même à suivre "spontanément" mon penchant "spontané", parce que j’ai toujours ce soupçon que là où tout le monde se précipite et là où l’on est sommé d’être, là où l'on penche, c’est ce que j’appellerais vulgairement un piège à cons et qu’il faut être prudent avant de tomber dans le piège à cons. "

AFG: Nettement. La première n’est pas ce que j’ai écrit de mieux, la seconde (“Nuits”) est assez personnelle mais assez abstraite. Remarquez que la seconde est tout sauf de l’autofiction. Disons que c'est une figuration et une abstraction de quelque chose de personnel. Raconter sa vie, il semblerait que cela soit devenu l'injonction majeure, et la curiosité la plus pruriente du contemporain (et encore sous l'angle censé en être la clef universelle, à savoir le désir). Cela tient encore à ce que semble requérir l’institution, à savoir que l’auteur se manifeste dans ce qu’il écrit, cette inscription forcée (même si elle est déniée par divers artifices, des petites restrictions mentales, des faux contrats, de petites ruses)… et je n’aime pas qu’on me force. Disons que c’est une position chez moi de mauvaise volonté, je ne veux pas faire ce qui est la norme, la chose courante dans un champ donné à un moment donné. Je résiste, je ne veux pas. Je ne tiens pas à faire comme les autres, ni même à suivre "spontanément" mon penchant "spontané", parce que j’ai toujours ce soupçon que là où tout le monde se précipite et là où l’on est sommé d’être, là où l'on penche, c’est ce que j’appellerais vulgairement un piège à cons et qu’il faut être prudent avant de tomber dans le piège à cons. Si on se résoud à y tomber (soit qu'on ne puisse faire autrement, soit qu'on y suppose un intérêt), il vaut mieux avoir examiné comment est fait le piège à cons, à qui il profite, dans quel sens il va et ce qu’on risque d’y perdre. Donc j’essaie d’éviter le piège à cons, ce que je crois de plus en plus être un piège à cons, et cela fait partie de mon féminisme borné.

 

ED: Vous êtes un auteur difficile non par votre vocabulaire, somme toute compréhensible...

AFG: C’est à cela que servent les dictionnaires... Et, même sans dictionnaire, le contexte est presque toujours suffisant à percevoir le sens.

ED:...mais par les allusions littéraires parfois savantes qui parcourent vos écrits. Je fais allusion non à Sphinx (où elles sont plus souterraines), ni vraiment à Ciels liquides, mais à Pour en finir avec le genre humain et La Décomposition. Mais alors, pensez-vous à votre lecteur?

AFG: Oui, et je dirais même que je ne pense qu'à ça. Je pense beaucoup à mes lecteurs, et je n’arrête pas d’y penser, parce que justement je ne m'occupe pas de mon petit moi quand j'écris, ce qui m’importe étant d’écrire quelque chose de public, qui prenne en compte l’existence d’un autre qui est un lecteur. Le texte devient un jeu entre moi et le lecteur, jeu que je m'efforce de rendre amusant pour moi et mon lecteur. Quant à la quantité d’intertextes ou d’allusions, je pense que c’est presque inéluctable dès qu’on commence à écrire. Il n’y a que les gens qui croient qu’on écrit spontanément, naïvement, comme on se viderait les tripes... Penser qu’il n’y a rien avant, c’est se condamner éternellement à ce qu’il n’y ait rien après. Tout d’abord nous n’inventons pas la langue, la langue, la littérature nous précèdent. Elle existera encore après nous (peut-être…), et il faut faire avec. L’idée d’une autofondation intime du sujet qui se met à raconter et à écrire “moi je” est une pure aberration. Quant on se sert de la langue, elle a un passé et aussi, on peut l’espérer, un avenir, même médiocre. De la même manière, la littérature existe déjà lorsqu’on écrit. Il y a un univers où des choses ont déjà été faites, des paysages et des perspectives, ce n’est pas la peine de croire qu’ils n’y sont pas, ils y sont, alors que faire? On peut faire semblant de les ignorer, on peut en effet les ignorer et se condamner servilement à les reproduire, ou bien on peut les prendre en compte et faire l’oeuvre d’une trace, d’une mémoire et participer à la transmission généralisée des choses de la culture et de la langue. Le paradoxe de cette transmission, c'est qu'elle n'est pas reproduction à l'identique de formes instituées. Pour qu'elle en soit vraiment une, elle doit être une traduction: un processus qui imprime une inflexion nécessaire. Il y a une dette, il y a un don, et l’un implique l’autre. Refuser le passé de la littérature et de la langue , c’est refuser d’être en dette et donc mépriser nécessairement celui qui vient après, le lecteur.

ED: Vous demandez à vos lecteurs autre chose que de prendre vos livres comme des divertissements. N’y manquent pourtant ni l’humour, ni la distance, ce sont des romans bien distincts d’un essai philosophique. Mais à chaque fois, la narration est interrompue par des problèmes philosophiques qui reviennent dans chaque livre. Le lecteur doit être un lecteur intelligent: vous n’aimez que la littérature qui remet en question l’acte d’écrire, pose des questions, ne se borne pas qu’à “raconter” une histoire? Pas d’évasion facile...

AFG: Je ne crois pas que les évasions faciles nous mènent très loin, ni même hors de ce à quoi on cherche à échapper. Je n’ai pas de mépris pour mes lecteurs, je leur fais confiance, je les tiens par avance en haute estime, je me dis qu’ils trouveront là de quoi penser, parce que je suppose que comme moi ils veulent comprendre quelque chose et que, comme moi, il savent que pour échapper, il faut trouver une tangente. Les narrations servent à penser, à penser selon un mode très particulier que ne permettent ni les thèses, ni les dissertations. Un roman, c'est de la pensée incarnée.

ED: J’ai toujours soutenu, quant à moi, que vous étiez un auteur particulièrement subversif. Cela pourrait sembler une idée saugrenue, mais je trouve que vous nagez à contre-courant dans bien des domaines: votre conception de la littérature (certainement pas au rabais), des tendances de l’édition actuelle, l’exigence personnelle, également votre parcours concourent à créer une impression de grande liberté jalousement sauvegardée.

AFG: La seule chose qu’on ait à faire (c’est une question de morale), ce n’est pas sauvegarder mais conquérir une liberté, une extériorité par rapport aux pièges à cons dans lesquels on tombe naturellement (ils sont faits pour). L’honneur d’un écrivain qui se respecte, et même de n’importe quel citoyen de n’importe quelle démocratie, c’est de se poser des questions. Dans toutes les activités humaines (non que cela me vienne naturellement ou que je vaille mieux que d’autres), j’essaie honnêtement de considérer les choses critiquement, d’examiner par les instruments d’investigation dont je dispose, les formes dans lesquelles je vis et je suis prise, et qui conditionnent pour une partie ce que je suis et ce que je crois. Ou pour citer Foucault, comment se déprendre de soi-même…

ED: Question facile: que pensez-vous de la réception critique de votre oeuvre? Plus précisément, je lis souvent des reproches quant à votre prétendue “préciosité”, vous écririez, nous dit-on, des romans de normalienne. Les écrivains ne doivent-ils plus s’exprimer que par onomatopées...

AFG: Concernant les romans de normalienne, je dirais que c’est une critique de khâgneux qui a raté le concours. Alors certes, j’ai fait Normale Sup, on me le reprochera éternellement. Reproche qui participe d’un mouvement d’anti-intellectualisme qui s'est emparé de la société française depuis quelque temps. Pas étonnant: ceux qui nous gouvernent sont des technocrates, énarques et intellos au rabais et des beaufs. Alors parle-t-on de romans de normalien, de romans d’énarque, de romans de journalistes, de romans d'escrocs, de romans de crapules (car tout cela, énarque, normalien, journaliste, khagneux, escrocs, crapules, ce sont des raisons sociales au moins aussi courantes que nornalienne)? Les femmes sont rentrées à Normale Sup (depuis beau temps déjà…), c’est la fin de la civilisation française (on dirait à relire tous ces discours depuis au molins un siècle que la civilisation française s'écroule comme dans un ralenti cinématographique… Elle n'en finit pas de vaciller, de s'écrouler sur fond de crise de la masculinité…). Tous les normaliens et normaliennes n’écrivent pas de romans, et quand ils le font, ils ressemblent rarement aux miens, c’est curieux… Donc le roman de normalienne est une vue de l’esprit, instrument polémique, en plus sexiste, accessoirement anti-intellectualiste et qui ne dit pas grand-chose sur ce que je fais. Depuis Normale Sup, j’ai quand même fait beaucoup de choses diverses. On me reproche aussi d’être contaminée par la culture américaine (ça c'est d'un comique extravagant…). Toute ma biographie est convoquée dans la réception des textes, et encore une fois avec l’impossibilité de la critique à décoller du biographique, c’est “sa vie, son oeuvre”, si possible réduisant son oeuvre à sa vie (et les quelques déterminations socialement saillante de la "vie"), et sa vie à son œuvre. Pas étonnant avec des théories pareilles que les contempteurs des romans de normalienne aient raté le concours. Ce n’est pas sérieux du tout.

ED: Cela peut détourner les lecteurs de l’oeuvre.

AFG: Certes, et c'est le but de l'opération. Mais vous voyez bien que de tels discours sont presque inéluctables. Pour appréhender quelque chose, il faut bien un point de vue, un angle d'approche… Et pourquoi se fatiguer à en prendre un autre que celui qui fonctionne dans 95% des cas? Et tant mieux si ce texte justement se trouve si peu éclairé par ce point de vue qu'il demeure à la fois réduit et indéchiffrable... Son décri ne peut que conforter le point de vue familier. Mais je m'en contrefous, c’est juste le prix à payer pour n’avoir pas voulu tomber dans le piège à cons. Des stratégies, des positions que l’on adopte, il faut savoir ce qu’elles impliquent: leur coût, leur bénéfice. Au surplus, je ne me plains nullement de la réception qui est faite à mes romans: je la trouve tout à fait adéquate. Et quelques critiques exceptionnelles de générosité effacent facilement les criailleries comiques ou banales des pantins.

ED: Question totalement subsidiaire: tous vos narrateurs sont extrêmement polis, que ce soit dans Sphinx (où le narrateur se distingue par sa politesse), dans “Vol” où cela lui pose de sérieux problèmes, dans Ciels liquides malgré son incapacité à parler, dans La Décomposition enfin, où le tueur en série est également “poli, au-delà de toute mesure”. Pourquoi tant de politesse?

AFG: C’est une bonne question… car je n’y ai pas de réponse immédiate... Il va falloir que je trouve rapidement, en trois parties comme toute bonne normalienne, la problématique de la politesse en littérature. Ce n’est pas si compliqué que ça. Je disais que l’une de mes questions était les sujets dans la modernité. Tous mes narrateurs sont des sujets pris entre deux cultures et deux époques, sujets contradictoires qui ont hérité quelque chose d’une culture classique qui ne cesse de revenir sous la forme de l’intertexte, de la citation, de la répétition de scripts ou de romans anciens qu’ils connaissent ou pas, mais qui agissent à travers eux. Et d’autre part ils sont jetés dans un monde où les formes anciennes n’ont plus de sens et ils doivent donc faire du sens dans un monde où les formes selon lesquelles leur subjectivité ou leur identité se manifeste n’ont plus de sens. La politesse est l’un des paramètres de cette contradiction des sujets. Ce sont des narrateurs tissés d’une époque révolue où régnaient certaines formes de l’interaction sociale, de la culture et qui sont jetés dans un monde de machines, dans un monde de corps désincarnés ou décorporés, et qui doivent faire avec. Leur politesse est alternativement tragique ou comique.

ED: Pour en revenir à certains thèmes qui reviennent dans vos livres, je n’ai pas encore cité celui de la dépossession, de la perte, de la crainte d’être délaissé. Ce peut être un deuil (dans “Nuits”) ou une crainte préventive en quelque sorte, comme celle du narrateur de Sphinx qui éprouve une sorte de mélancolie “préventive”. Ce sentiment terrible de dépossession alors que l’on possède, peur de ne bientôt plus rien posséder...

AFG: C’est à la fois assez classique et un ressort de tout roman d’analyse et de tous les narrateurs mélancoliques qui fourmillent dans la littérature depuis l’éternité, c’est une figure quasi transhistorique de la subjectivité mais avec des variations. Alors, accentué par la modernité, mais cela tient aussi au fait que tous ces romans sont en première personne. La forme du récit rétrospectif joue constamment de cette perspective, de cette dualité temporelle, ces dédoublements entre ce que l’on a été, ce qu’on est et ce qu’on projette qu’on sera. C’est la subjectivité dans le temps. C’est standard si on veut bien prêter un peu d’attention à ce que sont les sujets humains et à ce que raconte la littérature. Cela prend, en l'occurrence, la tonalité de la mélancolie.

ED: Ce ne sont pas de joyeux drilles...

AFG: Oui, mais à choisir, l'esthétique de la mélancolie ... (mais vous remarquerez que mes narrateurs font des progrès: le dernier en date est quand même plus marrant que les autres… Joyeux drille, je ne dirais pas, mais presque…).

ED: Dans La Décomposition, tout de même, le narrateur semble quelque peu obsessionnel...

AFG: Il est paresseux et se force à une règle et à une méthode. A suivre son penchant, il ne ferait pas grand-chose. Ce sont les catégories de la psychologie lambda, il n’y a pas trente six positions psychologiques à adopter par rapport à un objet: c’est l’hystérie, l’obsession ou la mélancolie. Ou alors la perversion. L’époque est plutôt à l’hystérie et à la perversion qu’à la mélancolie. Ou plutôt, dirais-je, à l'hystérie et à la perversion comme refoulement de la possibilité mélancolique (qui forcerait les sujets à un travail du temps… Ce que, je crois, la postmodernité craint comme la peste). Il y a un très beau livre qui vient (enfin) d’être traduit en français, c’est L’Anatomie de la mélancolie de Burton (XVIeme siècle): la mélancolie a à voir avec l’érudition, la quête des traces du passé, l’accumulation des références... L'hystérie et la perversion sont plutôt des formes de clôture du présent et dans le présent.

ED: Je voudrais souligner ce que Mathieu Lindon a appelé la “violence” de vos romans. L’idée de violence est discutable. Il est indéniable qu’on y trouve de la violence symbolique, subie, en amour (Sphinx), dans le monde en général (Ciels liquides) et évidente, dans La Décomposition. Vous êtes évidemment postmoderne en ce que vous mettez sans cesse en lumière les processus d’agression qui naissent du langage et de son usage.

AFG: L’agression qui passe par autre chose que le langage, c’est simplement de la brutalité. Le raffinement qu’apporte le langage à la brutalité produit la violence. Les usages du langage peuvent être violents, la violence la plus extrême passe par le langage. C’est avec le langage qu’on suscite de la violence, c’est dans un rapport au langage que de la violence fonctionne, se produit, se met en actes dans la réalité sur le terrain. (Mais notez bien que je ne crois pas que le langage soit violence lui-même: c'est une option métaphysique que je suis loin de partager). Je ne voudrais pas, parce que c’est d’une banalité affligeante, rappeler que l’entraînement des foules et des masses par un discours et la représentation du discours fait partie du grand art du totalitarisme et du nazisme, c’est-à-dire qu’on déplace les foules à coup de langage. Il est peut-être important de savoir ce que nous faisons lorsque nous utilisons de telle ou telle manière le langage. Nous avons une certaine responsabilité dans nos usages du langage. La mise en scène, si possible critique, de la fiction, permet une mise en question de cela.
Il est possible que mes romans soient violents, Mathieu Lindon a probablement raison. Mais c'est sans doute que je conçois l'art du langage comme une sorte d'art martial (et certainement pas comme une tauromachie…), et la fiction comme ce que l'on appelle techniquement des "kata": série de mouvements purs, enchainés avec rigueur et qui sont un combat contre un adversaire virtuel. Ils doivent être à la fois beaux, précis et efficaces. Ils entraînent le corps aux coups, aux postures, aux enchaînements, aux gestes qui seront requis dans le vrai combat. Et il m'arrive, quand j'écris d'avoir une vision quasi-spatiale, gestuelle de mon langage.
La question est: contre quels adversaires s'agit-il de se défendre? Quel ennemi s'agit-il de démolir?

ED: Enfin, vous expliquez dans une interview au “Monde” que vos prochains livres seront encore plus “complexes” que les précédents. Alors, pourquoi cette volonté et de quel genre de complexification s’agit-il? Pour explorer quoi?

AFG: Ce n’est pas simplement une volonté mais presque une sorte d’effet inéluctable du cheminement. On peut vieillir sans rien apprendre, on peut vieillir en perdant la mémoire, en devenant gâteux, mais je n’en suis pas encore là... J’en sais plus maintenant que je n’en savais ou en pensais à vingt-deux ou vingt-trois ans quand j’ai écrit Sphinx. Simplement dans le fait de passer ma vie à réfléchir, à lire, à écrire et à interagir avec le monde, les choses m’apparaissent de plus en plus complexes. Il y a des simplifications que je ne peux plus me permettre sans rougir, et ceci ne peut pas manquer de se manifester dans mes fictions. Bien entendu, mon but est toujours de produire quelque chose qui soit recevable par un public, même au prix d'un petit effort. A force d’écrire, j’ai développé des moyens de narration et d’écriture dont je ne disposais pas ou que je ne maîtrisais pas entièrement quand j’étais plus jeune. Comme tout artiste, à force de travailler, j’ai acquis la maîtrise d’instruments un peu plus variés que ce dont je disposais au début et j’espère que la maîtrise de ces instruments me permettra, sans rendre la chose compliquée et imbitable, de construire des univers fictionnels complexes et des textes le plus intriqué possible.

JT: Mais, à propos de Sphinx, s’il y a autant de lectures du texte qu'il y a de lecteurs…

AFG: Il y a toujours un minimum de communauté d’interprétation. Sinon il n’y aurait que des langages privés, ce qui est une contradiction dans les termes. Et d'ailleurs, remarquez que cette pluralité de lectures et leur incommensurabilité et irréductibilité ne tiennent qu'aussi longtemps que ces lecteurs ne se rencontrent pas. Dès que deux lecteurs de Sphinx se rencontrent et se mettent à parler de ce qu'ils ont lu, éclate nécessairement la divergence de leurs projections et apparaît la question centrale du livre qui réside dans l'absence des marques de genre. La lecture est peut-être solitaire, mais l'interprétation ne commence que dans le dialogue entre les lectures. Ce qui est intéressant, c’est de construire un texte pour faire exploser les possibilités interprétatives et en même temps questionner le processus même d'établissement du sens. C’est pour cela que Sphinx marche bien: il y a quatre versions du texte, les lecteurs ne peuvent pas avoir tous lu la même chose, il y a discordance sur un point central, nodal.

JT: Est-ce que ce n’est pas aussi, de votre part, une sorte de jeu?

AFG: Si, bien entendu, c’est amusant de jouer à quelque chose qui nous découvre autre chose. Ce n’est pas un piège à cons, mais un piège à sujets humains. Ils n’y sont pas tombé sans pouvoir en sortir. Le piège préexiste déjà dans le langage et dans leur usage du langage. Ils tombent dans le piège pour voir où il était, et où ils étaient. C’est un piège pédagogique en quelque sorte. Ils voient dans quoi ils tombent. Ils peuvent en sortir. Ou plutôt c'est un piège dans lequel on tombe pour sortir de celui dans lequel on était sans le savoir.
Ce qui serait intéressant, dans Sphinx, serait d’étudier les réactions de ceux qui tentent d’éviter à tout prix de tomber dans les pièges du récit. Mais sur ce roman, tout le monde semble avoir une option de lecture, c’est comme si les gens ne pouvaient pas faire sans, comme si on leur donnait un véhicule et qu’ils ne trouvaient pas le volant. Ils sont donc obligés de supposer le volant pour pouvoir conduire! (Et, dirais-je ironiquement, ils n'ont pas même remarqué que s'ils cherchent le volant c'est que dans tous les autres véhicules qu'on leur a laissé "conduire", il y avait bien un volant, mais il était là pour cacher qu'on les menait en train, sur des rails…).

ED: Et ce qui est intéressant alors, c’est de voir en lisant, même si l’on est averti, quelles sont nos réactions et nos comportements devant la mise en scène de jeu.

AFG: Et de voir si dans le texte il n’y a pas des lieux qui penchent plutôt d’un côté et qui sont immédiatement contredits par d’autres. L’option de lecture la plus intéressante est de ne pas en avoir a priori, de se laisser porter et de changer d’identification au fur et à mesure de la lecture du texte. C’est l’option de multiplication plurielle sur les identifications plutôt que d’une identification monolithique à l’un ou l’autre genre. C’est ce qui est réellement difficile, mais c’est le jeu dangereux. Ce sont les bornes de mon féminisme...

JT: Il y a alors une nécessité d’identification en fonction de la sexualité.

AFG: Il n'y a pas de nécessité. Il y a un impératif qui est à la fois socialement et psychologiquement inscrit dans la plupart des lecteurs et qui les force à s’assimiler à une identité une qu’ils bétonnent par tous les bouts et tous les moyens. Tout ce qui vient remettre en cause ou en question cette identification, qu’elle soit normative (selon le bon canon de la norme sociale) ou minoritaire, les gens semblent y tenir, dur comme fer, ne pas savoir comment être sans. Ce qu’ils demandent à la fiction, c’est non de remettre en question cela mais de les rassurer alors que la fiction peut être un espace possible dans lequel prendre de la distance, se désadhérer de ces constructions pour voir comment elles sont faites, à quoi elles servent, à qui, se poser la question de leur nécessité et de leur utilité.
C’est prendre au sérieux les fictions que de mettre en jeu leur pouvoir à effectuer ou à affecter les croyances des individus. On peut les conforter, on peut les manipuler ou on peut leur donner une optique critique.

JT: Cela m’amène à m’interroger sur les raisons de mes préférences pour certains livres. La réponse, finalement, n’est peut être pas si simple.

AFG: Elle n’est pas forcément si simple, et heureusement sinon, si c’était toujours la même réponse, cela n’aurait au fond aucun intérêt.

JT: Les livres que j’ai lus sont souvent très différents les uns des autres, mais il doit bien y avoir quelque chose de commun...

AFG: Pas forcément commun, mais des choses qui se rapportent à divers aspects de votre personnalité. Des livres posent des questions différentes. On n’est pas une chose unique; il y a plus de diversité, de multiplicité, de différences.

JT: Et puis également il y a différentes façons de lire selon l’âge...

AFG: Le problème, c’est que le contemporain semble identifié à l’adolescence. Vivez un peu à Paris et vous verrez, c’est le pur délire du désir, illimité, et nous serons éternellement jeunes. Tout le monde se fait gloire de positions transgressives et très peu ont des positions critiques. On confond la transgression et la critique. Il y a une surenchère dans la transgression alors que la critique ne mène pas nécessairement à la surenchère. Et la transgression atteint généralement les autres et pas soi, elle ne remet pas en question radicalement la structuration du sujet, elle le renforce dans des attitudes ou des stratégies souvent fatales.

JT: Je trouve la critique difficile à mettre en oeuvre, peu de gens en sont capables.

AFG: Cela demande des efforts, du travail et ce n’est pas confortable.

ED: Ce n’est pas parce qu’on transgresse qu’on se remet en question.

AFG: Exact, et plutôt bien au contraire. De là l'incroyable crédit dont jouit la transgression dans l'espace socio-culturel contemporain. Soyez transgressifs! Et plus l'on transgresse, mieux on réaffirme la limite, la loi. C'est le plus sûr fond de commerce de la modernité. La pub et la TV ne chantent pas autre chose à longueur de jour. On est bourgeois et bohème; conformiste et transgressif. Marié et couvert de maîtresses. Bien assis et en phase avec la rébellion. Subversif et totalement subventionné. Marginal et habitant du centre-ville. Ca me réjouit grandement, je dois dire.
Ecoutez, je pourrais publier un roman par an, si ça me faisait plaisir, dans lequel je raconterais trois histoires de cul, deux ragots sentimentaux, une salade de fantasmes dans une sauce pré-cuisinée d’autofiction. Mon éditeur serait content. Ou alors je ferais du polar des familles, ou du polar déconstruit façon nouvelle cuisine (une intrigue-vapeur; deux minces héros qui font semblant de se battent en duel dans l'assiette; un soupçon d'aliénation moderne le tout servi dans un décor mode et bruyant), il serait heureux aussi. Je gagnerais des sous, on verrait ma truffe à la télé et dans les journaux, j’irais dans les dîners mondains en ville, je connaîtrais plein de gens sur la place de Paris, je passerais mon temps à m’entregloser et me congratuler. Je dédaignerais de m’emmerder à aller travailler à la fac, à me fatiguer à expliquer à de pauvres étudiants la littérature, à me creuser le crâne à lire des livres que personne ne lit plus... Ce serait simple. Il y a des plaisirs de vanité parfois irrésistibles. Mais j’ai une propension plutôt associable, je préfère rester chez moi à lire des livres et à réfléchir tranquillement plutôt que d’aller jouer la comédie.
Ce n’est pas de l’héroïsme. Disons que c’est un orgueil qui est plus grand que la vanité. On ne se sauve pas de la vanité par l’humilité mais par l’orgueil. C’est du moralisme classique...C’est une conclusion à mettre dans l’interview.

 


Propos recueillis par Eva Domeneghini (13 octobre 2000). Photographies de Jacques Teissier.

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