Entretien de Paru.com
Réalisé par Frédéric Grolleau le 1er septembre 1999
Première partie : Mortal K



F.G : Vos différents romans renvoient-ils à une thématique commune ou à des sujets diversifiés?

A. Garréta : Une thématique plutôt diversifiée puisque je n'écris que lorsqu'une question me vient. Cela prend un tout petit peu plus de temps que de, mettons, raconter sa vie. Il me faut imaginer, construire ma question. Je n'ai d'imagination, je crois, que suscitée par une contrainte formelle dérivée elle-même d'un questionnement d'ordre intellectuel. Par exemple, dans mon premier roman, "Sphinx", la contrainte formelle était oulipienne, d'ordre syntaxique et sémantique puisqu' il s'agissait d'écrire un roman dont on ne saurait jamais si le narrateur en première personne et le personnage principal sont des hommes ou des femmes. De même que Perec avait écrit "La disparition" sans utiliser la lettre E, il me fallait écrire en contournant les indices grammaticaux du genre dans tout ce qui touchait à ce narrateur, à ce personnage et à leurs relations. Quelle est l'histoire qui pouvait figurer cette ellipse ? Voilà ce qu'il fallait
imaginer.

F.G : En ce qui concerne "La Décomposition", il vous a fallu quatre années d'écriture ?

A. Garréta : Oui, quatre années pour construire, pour réfléchir, pour lire ce qu'il faut autour d'un tel projet. Les livres n'existent pas dans un splendide isolement. Ils impliquent toute une bibliothèque, en dessous, à côté, en-dedans d'eux. J'ai quand même dû relire Proust (et quelques autres), en entier et dans le détail ! Je l'ai trituré sur mon ordinateur. La construction d'un roman, il y faut des échafaudages, ce qui prend du temps. Et puis c'est toujours un prototype, pas une fabrication en série.

F.G : Si l'on voulait présenter sans se tromper la teneur de "La Décomposition", que faudrait-il dire?

A. Garréta : Peut-être, en se trompant un peu, dirait-on que ce livre interroge deux grandes passions du XX° siècle : le formalisme et le nihilisme. Le formalisme, c'est-à-dire l'idée que tout est réductible à une structure, ou une série de règles, et que cette structure abstraite permet d'engendrer la totalité des possibles. Le nihilisme, c'est-à-dire que rien ne règle nos actes que notre volonté pure: acte gratuit, existence purement profane.
Voilà ce qui hante l'histoire des idées au XX° siècle, voyez le programme de Hilbert en mathématiques, l'entreprise de logicisation du langage en philosophie analytique et son rêve d'un langage parfait ou encore dans la morale, le fameux acte gratuit gidien.

F.G : Et au carrefour de ces deux courants, comme par hasard ou sciemment sélectionné, Proust?

A. Garréta : Proust parce qu'il a écrit un roman éminemment complexe que tant de gens se sont acharnés à réduire à de petites choses comme les charmes du souvenir, de la réminiscence, les petites madeleines, les tisanes, et autres haies d'aubépines. Tout ceci au mépris bien souvent des aspects plus obscurs et plus inquiétants de l'oeuvre: l'analyse de la cruauté, un bouleversement généralisé du principe même de l'identité. Or c'est aussi un livre qui, pour se protéger, a sécrété autour de lui une sorte de religion de la littérature et de l'écriture. Une religion qui a aussi son double, la profanation.

F.G : Pour entrer précisément dans le vif du sujet, le héros de votre livre, qui n'est jamais nommé, décide de court-circuiter le roman et le monde, ces catégories logiques et fictives, en les mêlant à la réalité à travers un stratagème ou une machine guerrière particulière...

A. Garréta : Mon roman procède de quelques petits principes très simples. Une de ses opérations, c'est la fusion de l'acte gratuit gidien et du crime parfait, cette utopie de polar. L'enjeu fictif de l'opération: forger un lien nécessaire entre fiction et réalité. Commettre un crime parfait suppose de l'élever au niveau de l'¦uvre d'art. Pour y parvenir, il suffit de régler les crimes sur ce qui est déjà une ¦uvre d'art. L'oeuvre d'art (ici celle de Proust) s'incarne meurtrièrement dans la réalité ; et les meurtres eux-mêmes, ainsi rendus parfaits accèdent à la dimension esthétique. Cela fonctionne dans les deux sens. Il y a interaction entre la fiction et le réel, l'éthique s'abolit dans l'esthétique.

F.G : Une esthétique qui exclut de fait toute morale...

A. Garréta : Disons que c'est une morale nietzschéenne, une transvaluation des valeurs de la fiction.

F.G : Pensez-vous que la médiation entre cette esthétique et cette éthique passe nécessairement par les mots?

A. Garréta : Oui, c'est nécessairement une articulation dans le langage puisque, sans tomber dans le scepticisme le plus radical, nous n'avons prise sur la réalité qu'avec des mots. L'impuissance apparente du langage n'empêche pas que c'est dans la construction, l'articulation de systèmes ou de fictions que se produisent les effets les plus radicaux dans le réel. C'est l'effet performatif du langage, dans toute son horreur ou sa splendeur... Il n'y a pas d'actes sans mots, ni de morts sans phrases.

F.G : Justement, plusieurs de vos chapitres ne sont pas faciles d'approche pour le lecteur, (notamment celui "de la méthode", Oedipe & Amok; celui des noms propres, http : //www.Sinn und bedeutung.inc ; celui de l'univers du jeu vidéo, Mortal K). Vos séjours répétés aux États-Unis sont-ils l'explication de votre attachement à l'univers des jeux multimédias ?

A. Garréta : Ce n'est pas là un phénomène purement américain. Disons qu'aux États-Unis bien des choses apparaissent plus nues, plus claires. Mais c'est tout simplement la condition humaine moderne: on est dans les jeux vidéo ! Les jeux dans les cafés, les flippers, les consoles, tout cela fait éminemment partie du monde contemporain. On ne peut pas continuer de faire semblant de vivre et d'écrire au temps des calèches, des dames en ombrelles qui jouent gentiment au cricket sur une jolie pelouse verte. La technique, les objets technologiques peuplent notre monde. Et donc nos romans. Le phénomène est plus accusé aux États-Unis parce que la poussière des siècles ne s'interpose pas entre la crudité de la modernité et le regard.

F.G : Vous dites qu'on est dans les jeux vidéo, mais ne peut-on pas soutenir aussi, à la lumière des aventures de votre héros, qu'on hait dans les jeux vidéo - pour autant que vous rendez manifeste toute la violence latente qui s'y déploie ? D'ailleurs, n'est-ce pas justement parce que votre héros s'est découvert une "indisposition" à la violence dès son enfance qu'il ne sait pas parler la langue "réelle", qui serait la langue poétique au plus près de choses ? N'est-ce pas parce qu'il n'a affaire qu'aux onomatopées, aux borborygmes de certains jeux, jeux qu'il consomme les uns après les autres qu'il n'est plus en mesure d'articuler son rapport au réel ? D'où la volonté chez lui de biffer la personnalité des autres et créer ainsi ce qui est peut-être une "oeuvre d'art" ?

A. Garréta : Vous esquissez là une interprétation très française du problème, au sens où elle me paraît fortement inspirée par une lecture disons lacanienne mâtinée de Mélanie Klein de la psychanalyse, et selon laquelle ce serait l'insuffisance de la fonction symbolique qui produirait le passage à l'acte violent. Cela serait très rassurant, si c'était vrai. Il suffirait de produire toujours plus de symbolique, de langage, pour effacer la violence dont on suppose qu'elle n'est qu'une sorte de résidu archaïque. Je ne partage pas cette vision optimiste. Je crois que le langage lui-même produit de la violence et que ce n'est pas une insuffisance de symbolisation qui engendre le passage à l'acte: ce n'est pas seulement le "retour du refoulé" mais certaines constructions du langage lui-même et de la fiction qui peuvent -et n'ont jamais manqué de- produire de la violence !

F.G : Cependant, la trajectoire de votre héros qui accomplit une suite de meurtres sériels (il s'agit d'éliminer des personnes réelles selon l'ordre d'apparition de certains personnages dans l'oeuvre de Proust en accord avec la "sacro-sainte" règle de la Grammaire: l'accord en genre et en nombre)
ne fournit-elle pas ici une méta-violence ? Vous nous mettez tout de même le nez dans notre propre misère : alors, quelle solution pouvons-nous espérer? Quel compromis envisagez-vous ?


A. Garréta : C'est une méta-violence, effectivement. Je remarque que la littérature s'acharne curieusement (pensez à "Lolita" de Nabokov, à "La chute" de Camus, au "Coup de grâce" de Yourcenar, à "L'immoraliste" de Gide, et je ne parle pas même de Dostoievsky) à nous mettre à la place du criminel et du meurtrier.
Elle nous offre de nous identifier à eux. La question est de savoir par quelles opérations nous sommes amenés à entrer en sympathie avec le Mal, ou à le récuser. Il me semble qu'il importe au moins de scruter ces méthodes de construction fictives et langagières qui invitent à vivre, de
l'intérieur, la violence. La violence la plus abominable se produit toujours par un discours. On n'envoie pas les gens à la mort sans phrases.
Ce sont des phrases qui suscitent, incitent à la violence. Or, l'objet de la littérature c'est de produire des phrases : sa complicité avec le régime de la violence est plus que troublante. Comment s'en écarter ? Comment sortir du rang des meurtriers (comme disait Kafka)? Comment régler son discours, ses phrases en échec à cette violence ? Il est par trop naïf d'opposer d'un côté l'animal brut, archaïque, qui produit la violence, et de l'autre, le civilisé discursif qui l'élimine (la violence, mais peut-être aussi l'animal archaïque... ). Ou, pour le dire autrement,
l'humain et l'inhumain sont dans une troublante complicité.

F.G : En renvoyant le voyeurisme à lui-même, vous mettez parfois vos lecteurs mal à l'aise, en les haranguant au passage. N'avez-vous pas peur qu'ils vous prennent au mot, qu'ils refusent de tourner la page ? De susciter des émules ou des vocations ?

A. Garréta : Quand Goethe a publié "Les Souffrances du jeune Werther", il y a eu, parait-il, une épidémie de suicides. Que dire ? Que ceux qui se sont suicidés étaient probablement de mauvais lecteurs ! Je pense qu'un lecteur parcourant "La Décomposition" n'aura pas le désir d'en émuler le narrateur.
Pour plusieurs raisons : d'abord, ce narrateur n'est pas particulièrement sympathique, il se moque méchamment de son lecteur. Ensuite, je crois l'avoir construit de manière à inviter autant qu'à résister à l'identification. Et puis, la fin du livre, après l'apologie du meurtre, les incitations variées au meurtre, expose le dérèglement de la machine meurtrière et sa désagrégation. Je ne doute pas que le lecteur ne perçoive la faille interne à la logique du narrateur. Celle qui fait que la série de meurtres s'arrête. Le lecteur qui aura perçu la logique interne du texte ne saurait manquer de réfléchir à la petite mécanique meurtrière et à la
vanité de son apologie.

F.G : C'est un pari redoutable, un jeu ?

A. Garréta : Oui, mais il n'y a que les jeux dangereux qui soient intéressants. Pourquoi croyez-vous qu'on joue à la roulette russe ?

F.G : Vous avez parlé de symbolique, symbolisation précédemment.
Étymologiquement, le sum-bolon renvoie en grec à un signe d'identité, de reconnaissance: les deux pièces de monnaie séparées enfin réunies sont une manifestation de fraternité et de retrouvailles. Si symbolique il y a dans votre livre, qui est à la fois une construction et une déconstruction, un jeu alternatif qui déroute car il échappe à un chemin narratif tout tracé,
est-ce bien celle de l'identité ? Votre héros ressent à plusieurs reprises, notamment devant la vision d'un cadavre ou de son contour tracé à la craie sur le sol, l'expérience d'une déliaison entre l'âme et le corps? Où se niche l'identité alors ? Ce point me paraît capital dans votre livre.

A. Garréta : Vous avez raison. On retrouve ce processus d'identification que vous évoquez à plusieurs moments dans le livre, en particulier dans l'écho d'une phrase de Proust: "La perfection ne commencera qu'au moment où le meurtrier prendra un corps réel, un nom fictif, posera leur lien identique dans le projet criminel à celui qu'opère le baptême unique de la loi dans l'état civil et les rivera par les anneaux, les seuls nécessaires d'un beau crime" (p. 89). Il s'agit pour le narrateur de relier la fiction et le réel. Relier un être de langage (un nom), et un être réel (un corps), grâce au meurtre, physique et informatique. L'ambivalence du symbole est claire : ce n'est que parce que deux chose ont été séparées qu'elles peuvent être réunies. La liaison suppose la déliaison. La reconnaissance, un mouvement d'aliénation. Vous avez raison de dire que c'est une construction et une déconstruction en même temps. Le paradoxe de mon narrateur pourrait se résumer à cela : c'est un homme qui veut tuer la mort.
Il y a également l'aspect linguistique de cette question où se pose le problème de la correspondance terme à terme entre le nom et la chose (qui n'a lieu que dans le cas des noms propres). Je me suis amusée à l'arrière-plan de ce roman à jouer un peu avec les théories de la
référence, Saussure, Russell, la philosophie analytique, Kripke.
Le roman met en scène toute une série d'opérations par lesquelles on lie ou on délie quelque chose. On trouve une figure allégorique de cela dans un des jeux vidéo de Mortal K., "Sortini et Sordini", soit deux êtres qui sont les deux tessères de la même entité qui a été scindée. Encore une référence platonicienne...

F.G : C'est le mythe de l'androgyne dans le "Banquet" de Platon. Mais beaucoup de lecteurs iront-ils chercher jusqu'à cet arrière-fond que vous mentionnez ?

A. Garréta : On peut lire ce roman, il me semble, sans posséder toute la bibliothèque des allusions, citations, mentions... Mais je l'ai construit de manière à ce que le lecteur en ait néanmoins (j'espère) une conscience souterraine... manière de l'inciter à chercher ce qui s'y cache. Une culture, au fond, ce n'est rien d'autre: des morceaux de langage qui flottent, des idées qui passent, des figures errantes de fictions. On en accroche quelques unes, celles qu'on connaît, on parvient à les pêcher, et il y en a d'autres parmi lesquelles on se promène sans les reconnaître.

F.G : Mais ce monde dans lequel nous vivons est ici condamné. Le narrateur de votre livre s'en prend aux médias et autres "boîtes à images " quiréduisent l'art de lire et entraînent une incompréhension du langage. Est-ce une thèse que vous défendez personnellement ?

A. Garréta : Je ne me confonds pas avec mon ironique narrateur, à l'égard duquel j'adopte moi-même une position ironique. Platon évoque tous ces symboles, ces constructions fictives, illusoires qui nous détachent du réel, nous absentent du monde, nous détournent de la contemplation du Vrai. Qui font écran, celui-là même de l'ordinateur. La "chambre noire" et ses divers avatars dans la deuxième partie du roman est, entre autres choses, un double de la caverne platonicienne.
L'homme est un animal qui "fictionne" tout le temps. Le plus inquiétant n'est pas, me semble-t-il, la menace de déréalisation dans des fictions mais plutôt celle de la "décorporation", la "désincarnation". Ce sont les deux faces du dualisme, esprit immatériel d'un côté et corps matériel de l'autre : la tentative de décorporation est jumelle, paradoxalement, de
la dénonciation de la déréalisation et des fictions. Dans notre monde moderne, l'utopie ultime de ces boîtes magiques à communiquer, à produire des fictions et des symboles n'est peut-être qu'une tentative nouvelle d'abolir le corps.

F.G : Vous devez trembler à l'idée d'être diffusée sur internet !

A. Garréta : Non, je ne vais pas me mettre à casser des serveurs, ou me prendre pour Unabomber - un personnage que je mentionne dans le livre -. Un cas très symptomatique que cet homme, Théodore Kaczinski, que le FBI a eu les plus grandes difficultés du monde à arrêter... Sa manie était d'envoyer des colis piégés à des personnes affiliés à la haute technologie. Invisible, introuvable, le FBI, dans l'incapacité de l'identifier l'avait surnommé Unabomber parce qu'il envoyait de préférence ses bombes à des universitaires chargés de programmes de recherches pointus en matière de technologie. On ne l'a arrêté que parce qu'il a commis l'erreur de vouloir
être publié : il avait promis d'arrêter sa campagne de terreur si le Washington Post et le New York Times publiaient un manifeste anti-technologique dont il était l'auteur. Son frère l'a reconnu alors dans cette prose... Kaczinski était un mathématicien prometteur, il avait
enseigné à Berkeley avant de tout larguer et d'aller vivre dans une cabane au fin fond d'un État du Far West, sans eau ni électricité. Le manifeste de Unabomber, on dirait une caricature de la méthode formaliste, une axiomatique logique paranoïaque.

F.G : Quand vous pointez la perfection contemporaine du meurtre, vous montrez que la combinaison entre hasard et déterminisme suppose l'absence de toute motivation subjective dans le comportement de l'assassin. Cela, afin d'éviter qu'on retrouve sa trace. Le cas Unabomber vous a-t-il inspiré pour "l'immotivation" dont vous créditez votre héros ?

A. Garréta : Oui, le meurtrier suit un pur formalisme abstrait, une grammaire philosophique du meurtre : il désire élever le meurtre au niveau d'un langage parfait. Le deuxième chapitre qui est une sorte d'exposé de la méthode contient ainsi toute une série de citations masquées de Russell, de Frege, de Wittgenstein détaillant cette entreprise d'épuration logique des langues naturelles considérées comme imparfaites parce que trop ambiguës, hantées de fantômes métaphysiques. Vieille idée que celle de l'imperfection des langues naturelles : à preuve, ce scandale du mensonge et de la fiction.
Comment le langage peut-il prêter de l'existence à ce qui n'est pas ? Un langage parfait, c'est à dire entièrement analysé et logicisé ne contiendrait que des énoncés vrais. Projet impossible, comme on le sait depuis les années trente, depuis l'échec du formalisme.

F.G : En jouant de la mise en abîme, vous affirmez justement qu'"un roman est un miroir promené le long d'un chemin" (p. 125). Quel est celui que frôle "La Décomposition" ?

A. Garréta : La formule est de Stendhal. Quant au chemin que suit "La Décomposition", ce
sont les grand routes du XX° siècle: d'un côté le formalisme, qui en littérature a fortement influencé l'Oulipo, et en parallèle de l'autre côté, le nihilisme, qui est peut-être l'idole occulte de beaucoup de bien des romans "expérimentaux" de ce siècle.

F.G : En maintenant à chaque fois l'écart entre les deux berges ?

A. Garréta : Je pense qu'il y a un rapport étroit entre le formalisme et le nihilisme. Mais ceci est une autre histoire. Formalisme et nihilisme sont dans le même bateau...

F.G : L'un tombe à l'eau. Qu'est-ce qui reste ?

A. Garréta : L'autre suit !

F.G : Nous nageons en plein optimisme.

A. Garréta : Dans la même veine optimiste, j'ai un conseil à donner au lecteur de ce roman : si un chapitre ne lui plaît pas, qu'il le laisse tomber et qu'il passe au suivant. Il a le droit de sauter les cases qui ne lui conviennent pas.

F.G : Tel chapitre de La Décomposition est trop long; "Qu'on le raccourcisse" ? Mais est-ce qu'on ne peut pas appliquer à votre ouvrage le principe même de la décomposition que vous exposez ?

A. Garréta : Bien entendu. C'est une sorte de machine supposée engendrer une activité infinie. Le héros rêve de supprimer un à un les personnages de la Recherche du temps perdu et jusqu'à son narrateur : imaginez un roman duquel toute présence humaine se serait absentée, un pur état des choses donc. Il envisage ensuite de rabattre sur le texte de "La Décomposition" qu'il compose le principe de la décomposition elle-même : et à nouveau les personnages disparus de "La Recherche" et recueillis dans "La Décomposition" disparaîtraient de celle-ci. C'est une sorte d'auto-engendrement récursif
infini.

F.G : Une bibliothèque borgésienne du mauvais infini?

A. Garréta : Exactement. Un travail du négatif.


DEUXIEME PARTIE DE L'ENTRETIEN